L'ancien lac de Servoz
Suite à plusieurs effondrements d'une partie de la chaîne des Fiz, dès la fin de la déglaciation tardi-würmienne (16-15 000 ans), à l'époque romaine (1er siècle?) et en 1471, un barrage naturel s'est créé en aval du Vieux Servoz, contre la colline des Gures. L'Arve étant obstruée, un lac s'est formé en amont et a rempli la plaine de Servoz/Le Lac/La Plaine St Jean. La cote altimétrique maximale atteinte par le lac est de 823 ± 2 m, matérialisée par le col du Châtelard au-dessus de la Ratériaz. L'Arve a donc pu s'écouler pour un temps par le vallon du Châtelard.
Egalement, des dépôts alluvionnaires issus de la Diosaz sont visibles en terrasse au lieu-dit "La Rossetaz", à une altitude de 824 ± 1 m. Selon les traces géomorphologiques encore visibles, ce lac aurait rapidement diminué de taille suite à la rupture du barrage naturel en aval, au niveau du Perthuis, causant une lave torrentielle de grande ampleur au droit de la plaine de Chedde. Ce cataclysme est sans doute en lien avec la légende de la destruction brusque de la ville "romaine" Dyonisia vers le lieu-dit St Denis sur la commune de Passy.
Après cet évènement catastrophique, un lac plus petit aurait subsisté à une cote de 807 m environ, se comblant très rapidement avec les alluvions apportées par l'Arve, formant une première plaine alluviale (cote 808 m de la photo ci-dessous, prise au niveau du chemin rural). Ces terrasses sont inclinées de 1,5 à 2 % vers l'aval.
Terrasses alluviales emboîtées de Servoz.
(photo sensible à la souris)
Lac résiduel après la vidange partielle de l'époque romaine.
Après cette première phase de dépôts alluvionnaires, l'Arve s'est enfoncée et a érodé ses propres alluvions en formant une deuxième plaine alluviale (cote 801 m de la photo précédente). Une deuxième phase érosive recreuse encore une fois les alluvions, l'Arve atteignant enfin le niveau actuel qu'on lui connaît (avant endiguement).
Reconstitution 3D des différents stades du lac de Servoz.
Un petit lac provisoire a dû se former lors du glissement de terrain de 1471, comme l'indiquent les textes anciens faisant mention de corvées de terrassement en aval de Servoz pour éviter que le lac ne devienne trop important. Son altitude semble avoir été de 797 m, soit un rivage amont situé vers le pont actuel sur l'Arve (avenue de la Gare).
Petit lac formé en 1471.
La datation de ces différentes terrasses n'est pas connue, faute d'étude sérieuse.
L'altitude maximale de l'effondrement des Fiz est marquée par la présence de gros blocs de calcaire plus ou moins roulés, plaqués sur le versant Nord-Est des Gures (photos ci-dessous).
Blocs de calcaire perchés sur le versant Nord des Gures.
La vidange partielle du lac ou le creusement naturel de l'Arve dans l'éboulement a sans doute formé le chaos de gros blocs émoussés de calcaire observables en aval de la gorge de l'Arve, abandonnés sur une petite terrasse alluviale perchée, surmontant d'une dizaine de mètres le cours actuel du torrent (photo ci-dessous).
Chaos de blocs de calcaire.
Galerie romaine de la Ratériaz
Il n'est pas possible de parler de l'ancien lac de Servoz sans évoquer la fameuse galerie romaine de la Ratériaz, redécouverte vers 1863 lors des travaux de percement du tunnel routier de la route nationale. Cette galerie, "specus" en latin, creusée sous le col du Châtelard, date très probablement de l'époque romaine et aurait été utilisée comme chasse hydraulique pour une "industrie" sise en aval dans le vallon du Châtelard, voire près de Chedde (in Cecillion et Miller - 1994). Cette industrie serait liée à une grande activité minière (mythe?) (bâtiments observés en 1880 par l'abbé Orsat dans le vallon du Châtelard), en lien avec l'existance à Passy d'édifices romains, de grande importance pour une petite bourgade alpine : temple de Mars, bornes frontière et présence - à l'époque - de hauts magistrats percepteurs.
Cette galerie, creusée depuis les deux extrémités Nord-Est et Sud-Ouest, dans les schistes viséens, mesurait à l'origine environ 78 m. Pour une largeur de 0,8 à 0,9 m et une hauteur moyenne de 1,8 à 2,0 m, le volume de rétention de cette hypothétique chasse hydraulique devait être de l'ordre de 120 m3 environ. La provenance de l'eau reste encore discutée par les spécialistes, faute de datation précise de l'ouvrage et des terrasses alluviales présentes à Servoz. A priori l'eau provenait soit de l'Arve, soit d'un lac de barrage naturel comme évoqué précédemment, soit d'un autre ruisseau (secteur de la Fontaine par canal?).
Au-delà du Châtelard, un canal long de près de 1,8 km acheminait l'eau jusqu'à la cote 703 environ, au sommet des Egratz, soit une pente moyenne de 6 %. Ensuite, après la crête des Egratz, le dispositif a soit plus ou moins disparu (éboulement), soit jamais existé. Géologiquement, la présence d'un col, d'un vallon perpendiculaire à la ligne de crête et de deux niveaux de colline décalés en altimétrie peut laisser penser à la présence d'une faille normale à cet endroit, abaissant la montagne des Gures par rapport à Tête Noire. Des traces d'érosion sous glaciaire sont encore visibles sur la paroi Nord de l'entrée du tunnel et un immense chenal a été observé lors de l'élargissement du tunnel actuel dans les années 90. Enfin, on peut déplorer le massacre de ce site archéologique, sans aucune considération, pour faire passer une autoroute à camions.
Point de vue personnel : cette galerie, comme beaucoup d'autres dans l'empire romain (Albano, Fucino...) a pu servir de vidange au lac de Servoz formé par le barrage naturel créé par l'effondrement des Fiz. Les Romains, très prévoyants sur les risques naturels, se sont chargés d'éviter une débacle catastrophique sur leurs villes situées en aval, comme la bourgade de l'ancienne Passy. Ils ont donc utilisé leur technique habituelle, à l'instar de leurs nombreux aqueducs et galeries minières du même style : creusement d'une galerie par deux équipes de mineurs de chaque côté du col. A noter, que l'équipe travaillant en amont a très bien pu foncer sa galerie bien en dessous du niveau du lac, avec la technique du puits/galerie, et par la suite abattage progressif du panneau rocheux séparant l'eau de la galerie en fonction du niveau du lac, pour continuer la purge. Néanmoins, comme contre argument à cette hypothèse, se pose le problème du débit d'eau évacué par cet artifice : au grand maximum 2 m3/s. Très inférieur à ce qu'il faudrait pour compenser les arrivées d'eau de l'Arve et de la Diosaz dans le lac de Servoz, de l'ordre de 10-20 m3/s en régime normal actuellement, pour le purger. Donc mystère...
Bibliographie : DFS de diagnostic archéologique - C. Cecillon et P. Miller - 1994 - 104 p.
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